LETTRE OUVERTE DES ENSEIGNANTS CHERCHEURS DES UNIVERSITÉS PUBLIQUES DU TOGO AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE RELATIVE AU PROJET DE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE AU TOGO

par SIKAA JOURNAL

Excellence Monsieur le Président de la République,
C’est avec beaucoup de désarroi et d’amertume que nous, enseignants chercheurs des universités publiques du Togo (UPT), avons choisi de vous adresser ce message épistolaire pour connaître le fond de votre pensée et votre position en rapport avec l’initiative hasardeuse et risquée prise par l’actuelle assemblée nationale pour conduire une manœuvre en vue d’un changement de régime au Togo.

Qui sommes-nous ?

Nous sommes un groupe d’enseignants chercheurs des UPT qui avons à cœur les problèmes de notre société et de notre pays. Nous avons bénéficié du soutien et des œuvres des Togolais pour faire nos études afin de leur enseigner la vérité et leur tenir un langage de vérité. Nous ne sommes pas des alchimistes.

Tel Prométhée dans l’antiquité gréco-romaine, nous allons chercher le feu pour éclairer nos populations dans leurs quêtes du progrès. Nous ne sommes pas des vendeurs d’illusion qui faisons de notre science une voie de déperdition de nos populations. Nous sommes aux côtés des Togolais dans leur marche vers le progrès.

Quel est l’état des lieux au Togo ?

Monsieur le Président de la République, le Togo traverse une situation très difficile que vous êtes censé mieux connaître que n’importe lequel des citoyens. De notre côté, nous sommes bien outillés pour le dire même si parfois tout est fait pour nous tenir éloignés des centres de décision de notre pays. Préférant souvent des laudateurs et des experts internationaux sans scrupules, véritables alchimistes d’un avenir sans lustres pour nos populations, l’administration publique se fourvoie continuellement dans la mise en œuvre des politiques publiques.

L’éducation n’est plus ce qu’elle était dans notre pays. Les enfants sortent complètement défigurés. Ils ne sont ni formés aux connaissances scientifiques et encore moins aux valeurs citoyennes. Les enseignants qui ont la charge de nos élèves ne sont pas non plus formés pour la tâche. De plus, nos élèves n’ont pas entre les mains les ressources pédagogiques et didactiques nécessaires pour évoluer vers le savoir. Ceci est vrai à tous les niveaux de notre système éducatif. Pire, les UPT sont devenues d’énormes pouponnières où chaque année arrivent des dizaines de milliers d’apprenants dont les plus chanceux sortiront avec un diplôme mais sans compétences avérées.

Le secteur de la santé n’est que l’ombre de lui-même. La formation au mérite a fait place au favoritisme dans le choix des étudiants en formation. Les centres sanitaires sont devenus des centres commerciaux non déclarés où viennent se télescoper la douleur, la souffrance et l’indifférence des acteurs qui à force d’avoir tout essayé ont rangé leurs compétences dans la résignation. La boîte d’aspirine, la bande, le gaz, l’alcool ou le paracétamol sont aussi introuvables que la disponibilité des acteurs. Comment parler de redevance ou de contractualisation si les tiroirs sont vides et le serment d’Hippocrate rangé ?

L’économie n’est que l’ombre d’elle-même. Le secteur formel et le secteur informel partagent les mêmes difficultés. Aucune banque de développement ne vient appuyer les efforts des citoyens entreprenants. Les bonnes femmes tout comme le petit revendeur du coin de la rue sont rationnées pour grossir les chiffres de la recette publique. A quoi cela sert de presser le citoyen pour lui assurer un bonheur incertain si nous savons qu’une bonne partie des recettes du pays finissent dans les poches et les puisards non assujettis au trésor public ? Il y a là une cohérence fondamentale que le premier étudiant en économie peut facilement relever.

Derrière des chiffres publiés pour revendiquer les succès de la politique nationale dont les noms changent à chaque anniversaire, se cachent des services publics non assurés ou mal assurés ! L’énergie, l’eau, n’existent que de nom ! Et pourtant les services sont facturés et payés par les citoyens. Quelle politique se fait par dissimulation des résultats. Chaque fois, le Togo est cité en tête de peloton des pays africains voire du monde dans presque tous les domaines à la surprise des Togolais eux-mêmes.

Monsieur le Président de la République, le Togo est en faillite totale et si nous ne prenons pas garde, il va connaître des moments d’incertitude qui mettront à mal sa cohésion à cause des initiatives hasardeuses de quelques sinistres individus, les mêmes qui paradent partout et revendiquent leur appartenance à l’illustre corps des enseignants du supérieur ou de “professeurs”, véritables alchimistes qui ne sont connus dans aucune société savante ! De grâce, l’alchimie n’est pas répertoriée comme une science en milieu universitaire.

Monsieur le Président de la République, depuis les évènements de 1963 et les péripéties de 1990 et de 2005, les solutions politiques proposées pour assurer à notre pays sa stabilité institutionnelle n’ont pas prospéré. Aujourd’hui, le Togo, tel un serpent, se mord la queue et tourne en rond. La preuve en est cette tentative en cours de changer le régime politique au Togo. Aucun régime ne prendra, si nous ne faisons pas du Togolais, le but ultime de la politique publique. Rien de bon ne se fera sans le Togolais et contre le Togolais.

Ce dont ont besoin les Togolais, c’est la liberté, la justice et la sécurité pour créer les ressources essentielles de leur développement. Donner des prétextes et créer les conditions du délitement de la cohésion nationale dans un contexte d’insécurité sous régionale, de pauvreté et d’incertitude, c’est prendre le risque de partir en aventure avec huit millions d’êtres humains. Ce risque, nous espérons, vous ne le prendrez point et nous comptons sur votre discernement pour épargner au peuple togolais cette aventure dans laquelle certains parlementaires veulent le conduire.

Nous vous prions d’utiliser les voies juridiques appropriées pour arrêter la manœuvre en cours à l’Assemblée Nationale ou d’user de vos prérogatives pour ne pas promulguer la loi en cours d’élaboration.

Fait à Lomé, le 22 mars 2024

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