Changement de régime politique, une lettre comme à la poste ?

par SIKAA JOURNAL

Avant toute chose, je voudrais inviter les lecteurs, voire même le peuple, à apprendre à distinguer l’intellectuel du sage. Bien que ces deux catégories ne disent pas nécessairement les mêmes choses, il est parfois tentant de les confondre. De plus, je tiens à souligner que posséder les deux qualités n’est pas une mission impossible, mais plutôt un souhait, voire un rêve.

Le débat politique au sein de l’espace politique togolais, ces derniers jours, est riche en interventions diverses. Certains tentent de dénoncer l’inconcevable démarche de l’Assemblée Nationale, tandis que d’autres soutiennent que la révision et/ou le changement constitutionnel ouvre la voie à un Togo politiquement émergent.

Ce débat oppose la plupart des juristes, aussi éminents soient-ils, chacun critiquant, à tort ou à raison, la portée juridique de l’action entreprise par les députés en fin de mandat. Il est important de souligner que le débat porte sur l’action même des députés en fin de mandat et sur l’opportunité de modifier la constitution. Je souhaite apporter, avec un regard sociologique, ma contribution à cette compréhension, car à mon sens, la société précède le droit. Les sociologues, je pense, ne doivent pas être tenus à l’écart de ce débat, alors que les populations ont le plus besoin de comprendre les enjeux réels de la révision ou de la réécriture de la constitution togolaise.

Concernant l’opportunité de la révision ou du changement constitutionnel, il convient de souligner que c’est une question complexe qui peut être analysée selon différents critères sociologiques, politiques, juridiques et factuels.

Le changement de la Constitution :

Après avoir parcouru rapidement ce texte, on peut facilement constater qu’il s’agit d’un « changement de la Constitution » plutôt que d’une simple révision constitutionnelle. Deuxièmement, bien que le texte soit parfaitement rédigé, il convient de se méfier des détails. Les différentes interventions qui alimentent le débat permettent d’ailleurs de mettre en évidence les non-dits sous-tendant cette démarche.

Notre analyse, à travers le prisme de la sociologie politique, met l’accent sur les dynamiques de pouvoir, les structures sociales et les processus de changement au sein d’une société donnée.

L’instauration d’un régime politique différent de celui établi par la Constitution actuelle met en lumière les tensions politiques sous-jacentes et les luttes pour le pouvoir au sein de la société togolaise. Comme l’explique Bourdieu (1989), le champ politique est un espace de compétition où les acteurs luttent pour accumuler et maintenir leur capital politique.

La question de la remise à zéro du compteur des mandats présidentiels du chef de l’État, qui est une question de fond mais non tranchée dans le nouveau texte, soulève des préoccupations quant à la consolidation du pouvoir et à la préservation des intérêts politiques. Cette perspective illustre les enjeux de la gouvernance démocratique et les défis auxquels sont confrontées les institutions politiques dans leur tentative de garantir une transition pacifique du pouvoir. Comme le soutient Huntington (1991), la consolidation démocratique nécessite le respect des règles du jeu politique et la limitation du pouvoir des dirigeants au moyen de mécanismes institutionnels efficaces.

La légalité et la légitimité du parlement actuel à entreprendre une telle réforme constitutionnelle majeure, malgré la fin de son mandat, révèlent les conflits entre légalité formelle et légitimité sociale. Comme le suggère Weber (1922), l’autorité politique repose à la fois sur la légalité des règles établies et sur la légitimité perçue par les membres de la société. Ainsi, même si les députés peuvent agir légalement selon l’article 52 de la Constitution, leur légitimité pourrait être remise en question par une partie de la population.

Enfin, soutenir la centralité du parlement dans le processus de changement constitutionnel, soulignant sa capacité à imposer ses décisions à l’ensemble de la société (le peuple), revient à concevoir que ce peuple n’existe plus en réalité et que même la démocratie représentative devient un concept obsolète et désuet.

Le changement de Constitution au Togo met en lumière les tensions politiques, les conflits de légitimité et les enjeux de gouvernance démocratique auxquels est confrontée la société togolaise. Certains pensent qu’il faut expérimenter autre chose, oubliant que l’expérience du régime présidentiel ou semi-présidentiel ne semble pas être totalement consommée. Le Togo n’a pas suffisamment capitalisé l’expérience, évacuer tous les paramètres de ce régime et consommer le reliquat des crises sociopolitiques pour prétendre à un autre régime.

Alors pour conclure ce point, il faut dire que l’opportunité du changement de constitution au Togo doit pouvoir satisfaire suffisamment les critères énoncés, mais il me semble qu’il y a suffisamment d’objections, vu le contexte politique du pays où, depuis la présidentielle de 1998, ceux qui organisent les élections sont toujours proclamés vainqueurs pendant que ceux qui y participent, malgré eux, sont toujours déclarés vaincus.

Que la constitution togolaise ne soit pas un texte immuable ou pas, il n’y a pas de raison suffisante pour un changement de régime, vu le passif politique lourd que nous feignons d’éviter en conduisant les affaires de façon unilatérale et en la charcutant au gré des humeurs.

Une grande question se pose : qu’est-ce qu’il faut espérer du passage d’un régime présidentiel ou semi-présidentiel à un régime parlementaire, quand nous peinons à expérimenter dans sa forme totale ce régime présidentiel où les indicateurs montrent une confiscation totale du pouvoir, la restriction des droits et libertés de l’homme, l’augmentation exponentielle du taux d’impunité et de corruption, la manipulation des identités socioculturelles, la paupérisation de la population ?

Le passage d’un régime présidentiel ou semi-présidentiel à un régime parlementaire peut être perçu comme une réponse aux défis et dysfonctionnements rencontrés dans le système précédent si l’alternance avait été une réalité politique vécue et n’offrant plus d’alternative devant des questions d’intérêt hautement nationales. Dans le contexte actuel, une telle transition ne garantit pas nécessairement une amélioration des conditions politiques, sociales et économiques. Au contraire, elle pourrait même aggraver certains problèmes préexistants.

Comme le souligne Samuel Huntington (1991) dans son ouvrage « The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century », la forme de gouvernement n’est qu’un aspect de la démocratie. La véritable essence de la démocratie réside dans la gouvernance démocratique, caractérisée par le respect des droits fondamentaux, la reddition de comptes et la participation citoyenne. Ainsi, simplement changer le type de régime politique sans aborder les questions sous-jacentes de gouvernance démocratique pourrait ne pas résoudre les problèmes existants, voire les aggraver.

De plus, selon Robert Dahl (1971) et sa théorie pluraliste de la démocratie, les institutions politiques doivent refléter la pluralité des intérêts et des opinions au sein de la société. Un régime parlementaire ne garantit pas automatiquement une représentation équitable et la prise en compte des diverses voix de la population. Sans des institutions politiques solides et une culture politique démocratique, la transition vers un régime parlementaire pourrait simplement déplacer les problèmes de concentration du pouvoir et de corruption vers d’autres institutions ou acteurs politiques.

L’initiative de proposition du changement de régime politique peut sembler attrayante lorsque les positions qui foisonnent vendent des arguments comme: limiter les coûts d’organisation des élections et/ou une pseudo-stabilité.

En clair, ce n’est pas la solution aux problèmes des Togolais, encore moins une solution aux problèmes rencontrés dans un système présidentiel autoritaire. Cependant, une telle transition nécessite une analyse approfondie des causes sous-jacentes des défis politiques et sociaux, ainsi que des réformes institutionnelles et culturelles significatives pour garantir une réelle amélioration de la gouvernance démocratique et du bien-être de la population.

Nous aimons tous notre pays, le Togo, certainement pas de la même manière, mais personne ne peut prétendre l’aimer plus que l’autre pour vouloir en faire ce qu’il veut. Ne pourrions-nous pas nous inspirer des autres qui avancent encore mieux ?

Fondamentalement, ce n’est pas le régime politique qui pose problème, mais plutôt la pratique démocratique avec tout son corollaire, qui est la véritable problématique à traiter. Et s’il est vraiment nécessaire de changer de régime politique, pourquoi le faire avec une telle précipitation, comme si quelque chose pressait ?

Que cette relecture demandée par le Chef de l’Etat soit l’occasion de faire de sujet imminemment important un vrai débat national, sans exclusion aucune.

Dr LOLONYO Komlavi, sociologue politique et de la communication

Kank_tg2002@yahoo.fr / Cel : 90 99 89 13

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