Les murs majestueux du Palais de Lomé résonnent depuis peu d’échos nostalgiques, de basses envoûtantes et de souvenirs vibrants. L’exposition « Godopé, Lomé by Night », inaugurée le vendredi 1er août, ressuscite les nuits mythiques de la capitale togolaise, entre 1960 et la fin des années 1980. Véritable plongée sensorielle et historique, l’événement est une ode à une époque où Lomé, ville carrefour et cosmopolite, incarnait à la fois liberté, modernité et bouillonnement culturel.
Pensée comme une immersion dans une boîte de nuit fictive, l’exposition ne se contente pas de montrer, elle fait revivre. Le visiteur y pénètre comme on entrerait au Number One ou au Safari, ces clubs de légende qui faisaient autrefois danser la jeunesse ouest-africaine jusqu’à l’aube. Jeux de miroirs, ambiance lumineuse tamisée, extraits sonores, affiches d’époque et objets-culte composent une scénographie minutieusement élaborée. Cette installation, baptisée la boîte infinie, propose une traversée imaginaire et sensorielle du passé, à la frontière du réel et du souvenir.

«Nous avons voulu faire revivre la vie nocturne de Lomé des années 60, 70 et 80. C’est une célébration joyeuse et intergénérationnelle d’une époque inoubliable. Godopé qui signifie lieu de rencontre en éwé, est un hommage vibrant à la mémoire collective des Loméens», a déclaré Mme Sonia Lawson, directrice générale du Palais de Lomé, lors de l’ouverture officielle de l’exposition. Elle précise également: «Nous avons recréé une boîte de nuit fictive, non pas pour divertir uniquement, mais pour raconter une histoire. Celle d’une ville en pleine effervescence, à la croisée des sons, des peuples et des idées.»
L’une des grandes forces de Godopé réside dans la place accordée aux témoins directs de cette époque faste. D’anciens DJ, disquaires et noctambules ont été invités à témoigner, parmi lesquels la légende locale Pierrot L’Habitait, figure incontournable des nuits loméennes. Leurs récits, recueillis et diffusés dans l’espace d’exposition, restituent avec émotion les ambiances d’alors: les thés dansants dès la fin d’après-midi, les virées au bar Oncle Ben ou chez Mikounounou, les nuits sans fin au Copacabana, au Biblos ou à l’Edelweiss.
Lomé se distinguait par la richesse de sa scène musicale, véritable creuset de styles. Tandis que le Ghana vibrait au high-life et le Nigeria à l’afrobeat et au juju, Lomé accueillait une palette infinie de sons: la soul américaine de Marvin Gaye et James Brown, la rumba congolaise, le makossa camerounais, la salsa cubaine, le funk ou encore les voix légendaires de Bella Bellow, Tshala Muana, M’bilia Bel et Manu Dibango, souvent programmés grâce au dynamisme de structures locales comme le label Sikavic.
L’inauguration de Godopé a réuni un parterre de personnalités et de passionnés. Parmi les invités de marque figuraient S.E. l’ambassadeur de France au Togo, la ministre Cina Lawson ainsi que plusieurs représentants de la scène artistique togolaise contemporaine. Le public, nombreux, mêlait curieux, chercheurs, anciens fêtards et jeunes Togolais désireux de découvrir une page méconnue de l’histoire nationale.
«Cette exposition n’est pas seulement un hommage au passé, elle est un pont entre les générations. Elle rappelle à la jeunesse togolaise que leur ville, Lomé la coquette, fut un haut lieu de fête, d’expression libre et de métissage culturel. Une ville où la musique rassemblait les cœurs et les esprits, où la nuit était synonyme de création», a souligné Mme Sonia Lawson.
Ouverte au public pour une durée de cinq mois, Godopé invite à la redécouverte d’une mémoire encore vive, entre photographies rares, reconstitutions de scènes festives et atmosphère immersive. Elle s’adresse autant aux nostalgiques qu’aux jeunes curieux, dans un format hybride qui allie rigueur documentaire et liberté artistique.
Au-delà du simple regard rétroactif, Godopé est une véritable célébration de l’esprit de Lomé: celui d’une ville ouverte, vibrante, dansante. Un hymne à la nuit, à la joie, à la musique et à cette simplicité du vivre-ensemble que le tumulte des décennies n’a pas réussi à effacer.
Désiré KOSSI
